vendredi 19 novembre 2010

LUTZI

La revue SITES, d'études littéraires françaises et contemporaines, consacre son prochain opusà l'imaginaire français. Dans ce cadre, Anne Berthelot et Alain Lescart, qui dirigent ce numéro, m'ont demandé une nouvelle. J'ai longuement hésité, et finalement c'est un petit récit mettant en scène Théodora qui l'a "emporté. Et comme il m'a été demandé par un lecteurd'Elbakin, la nouvelle lui est dédiée. J'espère qu'lle lui plaira. Je vous en livre, ici, le tout début (le reste sera lisible dans la revue SITES pendant quelques mois avant de revenir ici, je suppose).

Voici l'illustration d'Elvire de Cock :


  ... Et un extrait de la nouvelle!!

Lutzi
De la mort le temps ne sait rien
les mots ne se comptent pas
Rajko Djurić 
 
 
Pour Alban
 
Venu du sud de l’Archipel, à peine adouci par les embruns, un vent sec et brûlant soufflait sur la principauté. Les esprits s’alanguissaient, une sueur épaisse recouvrait les corps alourdis par la chaleur et, dans le Labyrinthe où vivaient les plus pauvres, où se terraient criminels et assassins, la maladie gagnait lentement du terrain. Durant le jour, on rampait, on se recroquevillait à l’abri des murs et des passages couverts dans l’espoir de trouver un peu de fraîcheur ; le soir venu on s’extirpait des recoins et des ombres et on s’ébrouait, profitant d’une tiédeur bienvenue pour fêter, avec un peu d’avance, le début des moissons.
Théodora appréciait ce rythme estival. Il lui évitait de justifier ses échappées nocturnes, excusait ses cernes et lui permettait, enfin, de manquer sans aucun scrupule à ses devoirs. Il faisait bien trop chaud pour enseigner. Même les fleurets semblaient aussi lourds que des marteaux de guerre. Depuis quatre ans, elle assistait l’un des meilleurs maîtres d’armes et entraînait les recrues à ses côtés. Elle appréciait à sa juste valeur l’honneur qui lui avait été fait et d’habitude, prenait plaisir à cela. Mais en ce moment, la jeune bretteuse ne désirait qu’une chose : boire suffisamment pour s’abrutir, si possible en mauvaise compagnie – et peu importe où elle finissait, fut-ce à la morgue.
« Tout, pourvu que j’échappe à ça. » 
Ça : les cauchemars qui la tourmentaient ; les attentes de ses magisters ; son maudit don de prescience ; le poids de la destinée.
Lorsque Théo quitta l’Académie la lune, face laiteuse auréolée d’argent de la Triple Déesse, brillait dans la nuit étoilée. Dans les jardins, les feuilles des arbres bruissaient. Une chouette, silhouette fantomatique, la frôla lorsqu’elle abandonna les hauteurs rassurantes du quartier de Palatine pour les rues poussiéreuses du Labyrinthe. Dédaignant les tavernes saturées de rires et de musique, des principales artères, elle préféra se laisser porter par l’instant et s’enfonça rapidement dans un entrelacs tortueux de ruelles et d’escaliers abrupts. Malgré les rondes de la garde et les lanternes placées aux carrefours, phares dans cette mer citadine et fatale, les bagarres, toujours mortelles, étaient légion ; on se faisait égorger pour une fille ou une dette ; on s’entretuait pour un oui pour un non.

Elvire de Cock illustre la nouvelle Lutzi, à paraître donc prochainement dans la revue américaine SITES. En voilà un petit aperçu... (les aficionados de Théodora noteront , même quatre ans plus tôt, son penchant manifeste pour la bouteille...)


 

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